Ça va de mal en pire. Si l’étape d’hier s’est faite longue, celle d’aujourd’hui est interminable. Les routes nationales vont me tuer ; soit écrasé par un camion soit paralysé d’ennui. À cela s’ajoute les frais physiques de plus d’une semaine de marche et d’alimentation pauvre. Le sac semble plus lourd, l’asphalte plus dur et les pieds sont devenus deux enclumes. Le matin, une ampoule se réveille au talon. Après quelques centaines de mètres je dois m’arrêter pour y poser un sparadrap. Je crois que la peur de devoir m’arrêter me fait plus mal que la blessure elle-même.
Aujourd’hui, toute l’étape se déroule avec Patricia. Elle n’arrête pas de parler. Je ne sais pas comment elle réussi à garder le rythme et maintenir son débit de parole. Aujourd’hui je n’ai vraiment aucune envie de discuter ; et elle le sent. Mon humeur maussade est interrompue par l’apparition du village San Roman. Jusqu’à ce moment là, pas le moindre signe de civilisation. Tout me dérange : le soleil, le vent, les toiles d’araignée, les vieux qui osent se croiser sur mon chemin, les autres pèlerins, leur odeur, mon odeur, etc.
On dirait que cette apparition verse un peu de carburant dans mon réservoir moral. Je suis un peu plus ouvert à converser. D’ailleurs, les conversations s’approfondissent. C’est fou comme parfois il est plus facile de s’ouvrir à un étranger qu’à une personne de confiance. Le temps passe plus vite et s’en à peine nous en rendre compte, quelques heures sont déjà passées.
Enfin, la deuxième apparition divine du jour : l’auberge. Nous avions prévu de marcher jusqu’à Melide –à encore 17km-. Là bas, nous n’aurions probablement pas trouvé de lit pour dormir car à Melide, se rencontrent trois Chemins différents ; l’affluence explose et les matelas disparaissent. C’est donc comme un mirage qu’apparait cette auberge, dans le village désertique de As Seixas. L’établissement a été inauguré il y a une semaine et n’apparait pas encore dans les guides. Le bâtiment est magnifique, il semble issu du crayon d’un designer suédois. L’architecture moderne épouse parfaitement la ruralité du coin. De plus, nous sommes les premiers arrivés. Nous n’en revenons pas. Cinq euros pour une auberge qui vaut bien plus que beaucoup d’hôtels trois étoiles.
Le seul inconvénient est que l’épicerie la plus proche est à trois kilomètres. Aucun de nous n’a le courage de s’engager dans ce parcours bonus. Le soleil décharge toute sa rage et nos forces sont plus que limitées. Nous ne sommes que sept au total dans l’auberge. Étant donné la situation, nous décidons de réunir toutes nos provisions dans la cuisine. À nous sept, nous rassemblons de quoi faire un repas basique mais nutritif et convivial.
Le reste de la journée, je la passe avec les pieds dans la piscine –oui, il y a une piscine !- et dans mon lit. Je dois savourer ces instants de confort. Je pressens qu’à partir de demain, je devrai dormir dans la rue. Après Melide, le chemin devient une autoroute où les aires de repos sont saturées. Je n’ai pas de natte ni de sac de couchage. Mon dos va m’en vouloir. Résigné, je m’endors rêvant que Santiago n’est qu’à 15km et que demain sera la dernière journée.
J’oubliais. Pendant notre marche, nous avons croisé un troupeau de vaches. Autant dire que j’étais au paradis. Entouré d’une cinquantaine de grâces noires et blanches.
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